MAISONS DE VILLE

 

ÉLISABETH LESCROART-CAZENAVE ET CLAUDE LEMAITRE

 

Orbec, par son authenticité, offre aujourd'hui l'image idéale d'un condensé d'architecture, né du voisinage de tous les rangs et de toutes les fortunes et d'un savoir faire maîtrisé. Quant à Lisieux, «capitale du bois sculpté», elle garde encore une centaine d'immeubles du XVIe au XVIIIe siècle, malgré la destruction massive de 1944.

 

LES MAISONS D'ORBEC

Petite ville du pays d'Auge, siège du bailliage qui englobait Lisieux, Orbec constitue par son authenticité un remarquable terrain d'étude où l'interpénétration des architectures rurale et urbaine, trop souvent dissociés, apparaît de manière très sensible. En une seule perspective, certes incomplète depuis la disparition au XIXe siècle des trois halles qui occupaient la rue Grande, ponctuée par le campanile de la chapelle de l'hôtel-Dieu et la tour de l'église Notre-Dame, s'inscrit une suite de maisons dont les matériaux colorés jouent avec les styles et les époques. A la pierre grès, poudingue et calcaire locaux des édifices du pouvoir (églises, château, manoir de la famille d'Orbec) se juxtaposa pour relever les ruines de la guerre de Cent Ans le bois hourdé de torchis, de tuileau, de brique vernissée et m?me de silex et de pierre. L'encorbellement et le décor sculpté lui donnèrent ses lettres de noblesse ailleurs réservées à la pierre il en subsiste quelques chefs-d'Suvre, tel le Vieux Manoir daté de 1568. Bientôt privé d'ostentation, le pan de bois s'effaça, laissant la pierre alliée au silex, à la brique, puis seule, devenir au XVIIe siècle le matériau favori d'une nouvelle classe attachée au bailliage. Enfin, en pleine prospérité industrielle, la brique se substitua définitivement au bois et devint le matériau de prédilection de l'urbanisme naissant, commandé par le percement de nouvelles voies.
Au-delà des façades, la lecture du parcellaire et l'étude des intérieurs révèlent le développement de la cité : son éclatement à la fin du Moyen Âge au-delà des limites naturelles du ruisseau de la Vespière, la conqu?te des cSurs d'îlots, le morcellement et le regroupement des tènements.
Les maisons de bois construites sur des parcelles laniérées présentent leur mur gouttereau en front de rue; sur les parcelles d'angle, elles allongent leur façade latérale dans la rue secondaire, montrant qu'ici le pignon sur rue était un pis-aller. SSurs des manoirs ruraux par la mise en Suvre et la distribution, elles en diffèrent par quelques aménagements : boutiques, second étage, et par les empiétements sur le domaine public : avant-soliers aujourd'hui fermés, passages couverts centraux ou latéraux conduisant aux cours et aux corps de logis reliés par des escaliers hors Suvre et des galeries. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la réunion de parcelles permit d'édifier des hôtels particuliers à porte cochère centrale et ailes en retour qui, dédoublant les pièces pour former des appartements, préfigurèrent les immeubles du XIXe siècle.
Ces logis et leurs communs environnés de jardins, de vergers et de prés, auxquels se m?êlaient, le long des canaux du ruisseau de la Vespière, les ateliers (anciennes tanneries, teintureries, blanchisseries) offrent aujourd'hui l'image idéale d'un condensé d'architecture, né du voisinage de tous les rangs et de toutes les fortunes et d'un savoir-faire maîtrisé.

Élisabeth Lescroart-Cazenave, conservateur du musée d'Orbec.

 

LISIEUX

En juin 1944, Lisieux, «capitale du bois sculpté », disparut en fumée : de ce désastre naquit une ville nouvelle. Pourtant le patrimoine est encore riche d'une centaine d'immeubles du XIVe au XVIIIe siècle.
L'essentiel de ce qui est conservé s'étend au nord de l'axe formé par la rue Henry-Chéron et la place François-Mitterrand. L'ensemble le plus important domine le chevet de la cathédrale Saint-Pierre. L'étroite rue Aristide-Briand donnant accès à l'école nationale de musique, ancien Haut-Doyenné, architecture en pierre et brique de la seconde moitié du XVIIIe siècle, est bordée d'une curieuse construction en encorbellement, appelée le manoir Desmares. Sur la rue Henry-Chéron se développe une succession de façades en pan de bois des XVe et XVIIIe siècles dont la plus remarquable, du XVIe siècle, présente des sablières ornées de « rageurs ».
Dans le secteur du « Friche aux Chanoines » s'élevait l'essentiel des maisons canoniales. Deux d'entre elles, les maisons Saint-Laurent et Sainte-Catherine, rue Paul-Banaston, retiennent particulièrement l'attention. Partie intégrante de cet ensemble, l'étage d'une façade en pan de bois offre, sur la rue, un exemple rare de construction anglaise du XVe siècle. Face à la maison Saint-Laurent, le manoir Sainte-Catherine, construction lexovienne de la seconde moitié du XVe siècle, se dresse dans la cour de l'institution Frémont. On peut parler d'un véritable système constructif, tant ce type de charpente était omniprésent à Lisieux. L'ancienne rue du Bouteiller égrène une succession de maisons des XVe et XVIe siècles dont les rez-de-chaussée ont été reconstruits au XVIIe siècle. Toutes présentent un intér?t : escalier surmonté d'un oriol, charmante pièce de retraite de la fin du XVe siècle, lucarnes aux rampants agrémentés de visages du plus curieux effet, entre-colombages en briques vernissées... Sur le côté sud de la rue du Bouteiller, maintenant rue du Dr-Degrenne, s'élève la seule fontaine ancienne encore existante, offerte à la Ville par Mgr de La Ferronnays en 1784. Bien d'autres quartiers conservent d'intéressants vestiges du passé : immeuble du XVe siècle rue du Capitaine-Vié, hôtel du Maure, rue du Carmel, en partie du XVIe siècle, et, tout proches, des lavoirs croqués naguère par Albert Robida.
La voie romaine, square André-Malraux, et les vestiges de thermes du centre hospitalier, boulevard Jeanne-d'Arc, rappellent l'origine gallo-romaine de Lisieux, Noviomagus Lexoviorum, chef-lieu de la cité des Lexovii. Les peintures murales découvertes lors des fouilles du centre hospitalier content le go?t des Gaulois romanisés pour un art venu des bords de la Méditerranée.
Actuellement, Lisieux change de visage. Les édiles la veulent plus humaine, plus conviviale. Gageons que les réalisations en cours donneront un regain d'intér?t à notre ville et réhabiliteront l'image de notre patrimoine ancien par trop oublié.

Claude Lemaître, président des Amis du vieux Lisieux.

 

BIBLIOGRAPHIE

Lescroart-cazenave (?.), «Orbec», n° spécial d'Art de Basse-Normandie n° 101,1994 ; «Orbec - La maison et la rue au Moyen Âge», revue Le Pays d'Auge, mars-avril 1997.

Art de Basse-Normandie n° 81, 90, 91, Lisieux, hivers 1984-1985, collectif consacré à Lisieux de l'époque gallo-romaine à l'époque contemporaine.

Caumont (Arcisse de), Statistique monumentale du Calvados, t. V, arrondissement de Lisieux, Caen, Leblanc-Hardel, 1867.

Cottin (Michel), «Une visite en négatif» in Un été 1944, numéro spécial de la revue Le pays d'Auge, Lisieux, juin-juillet 1994 ; «Notes sur les maisons canoniales de Lisieux», Société historique de Lisieux, bulletin n° 34, pp. 29-50,1994-1995.

Moidrey (Tardif de), Les maisons de bois de Lisieux, feuillets extraits du portefeuille d'un batteur de pavé, 1922. Recueil inédit de plusieurs centaines de dessins. Ces dessins, conservés à la bibliothèque municipale de Lisieux, manuscrit M.S. 158, sont la mémoire du Lisieux disparu.