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PARCOURS MÉDIÉVAL
JULIEN DESHAYES
Historien d'Art
Chercheur auprès du Service régional de l'inventaire général
Les églises rurales médiévales, généralement isolées, sont blotties au creux d'un vallon ou attachées au flanc d'une colline. Parmi les abbayes ou prieurés implantés en pays d'Auge, peu ont été épargnés, mais la cathédrale Saint-Pierre de Lisieux apporte une contribution majeure à l'architecture du duché.
Tout autant que les fermes ou les manoirs, les églises rurales contribuent à dessiner la physionomie bien particulière du paysage monumental augeron. Tantôt blottis au creux d'un vallon ou attachés au flanc d'une colline, ces édifices aux plans simples et aux dimensions modestes se présentent généralement isolés au sein du tissu très lâche de l'habitat des paroisses qu'ils contrôlent. De fait, les lois présidant ailleurs au phénomène du regroupement des maisons autour de l'église et de son cimetière paraissent n'avoir fonctionné ici qu'avec parcimonie. Dans cette région pourtant, plus que dans le reste de la Normandie, il nous est donné de lire l'ancienneté du réseau paroissial existant à travers la structure même des édifices conservés.
A L'AUBE DE L'ÉPOQUE ROMANE
A Vieux-Pont comme au choeur de Ouilly-le-Vicomte et sur la façade de Hotot-en-Auge, l'emploi d'un petit appareil relativement régulier avec arases horizontales de brique traduit, à une date voisine de l'an mile, le maintien de traditions constructives préromanes. A l'ancienne église Saint-Antonin de Montargis, à Saint-Sylvain de Glos, ou enocre à Saint-Martin-de-la-Lieue et à Saint-Jean-de-Livet, le petit appareil régulier d'origine antique est également employé, désormais associé avec des lits de pierre disposés en arête de poisson. Dans ces deux derniers édifices, le pignon occidental est en outre percé d'une série de petites ouvertures triangulaires disposées en pyramide, selon le principe des fenestellae d'époque carolingienne.
La parenté unissant l'ensemble de ces édifices se manifeste aussi par l'utilisation très constante d'un plan élémentaire, à nef unique directement prolongée par un chevet plat, carré ou rectangulaire. A l'exception notable des églises de Saint-Martin-de-la-Lieue et de Ouilly-le-Vicomte, les essais de voûtement sont rares : la tradition se maintiendra en pays d'Auge des simples couvrements en charpente. Une place à part doit être faite au sein de ce corpus à l'église Sainte-Anne de Norrey-en-Auge. Avec sa nef ouvrant sur les collatéraux par de grandes arcades aux supports alternés et sa tour dominant la croisée du transept, cet édifice charpenté des environs de 1050 montre une disposition assez complexe, pouvant suggérer des parentés ottoniennes. En complément à son décor sculpté extrèmement sommaire, l'église de Norrey vit en outre, au cours du XIIe siècle, son décor enrichi de peintures murales. De cet ensemble ambitieux, malheureusement très dégradé, nous pouvons encore contempler une remarquable entrée à Jérusalem et la scène de l'Adoration des mages.
A une date proche de 1080, l'église Saint-Pierre de Touques adoptera également un parti architectural élaboré. Au XVIIe siècle, la nef fut réduite aux deux travées qu'elle compte aujourd'hui, mais le choeur voûté à chevet plat et le transept bas à chapelles orientées ont gardé leurs volumes romans. La sculpture des chapiteaux mérite une attention particulière. A côté de masques humains et d'animaux affrontés apparaissent en effet des figures de reptiles aux corps d'entrelacs et des mtoifs de boules disposées en grappe, dont l'inspiration se démarque des modèles alors couramment diffusés.
VERS L'ARCHITECTURE GOTHIQUE
Le bourg de Touques, initialement divisé en deux paroisses, possède une seconde église très précocément dédiée à Saint-Thomas Becket. En dépit de restaurations lourdes, cet édifice des années 1170 présente un indéniable intérêt, avec son haut vaisseau unique dont la largeur est celle d'une nef à bas-côtés. Cette conception d'un espace très dilaté, aux parois minces reste à peu près unique en Normandie.
Procédant plus par modifications d'églises existantes que par des créations originales, la période gothique n'a, pour le reste, pas produit en pays d'Auge de petits édifices paroissiaux réellement marquants. S'il convient de mentionner l'élévation élégante régnant dans les parties orientales de l'église de Gonneville-sur-Honfleur ou les volumes équilibrés, mais encore très romans, de Ouville-la-Bien-Tournée, on se reportera de fait assez rapidement vers des monuments d'un rang supérieur.
Saint-Jacques de Lisieux était, après la cathédrale, le plus prestigieux édifice religieux de la capitale du diocèse. Bien qu'elle eût beaucoup à souffrir de la dernière guerre, l'église actuelle présente encore une réelle monumentalité. Edifiée à partir de 1496 sous la direction du maître maçon Guillaume de Samaison, elle offre des volumes amples, ajourés de larges baies aux remplages flamboyants. La richesse des effets plastiques y résulte du contraste opposant les formes pleines et rondes des colonnes de la nef à l'écriture très graphique des niveaux supérieurs.
L'église Sainte-Catherine de Honfleur appartient pour sa part à une tradition constructive parfaitement originale : celle des églises édifiées en bois. Entreprise après la guerre de Cent Ans, elle fut d'abord constituée d'un unique vaisseau de quatre travées porté par de simples poteaux chanfréinés. Peu après, l'édifice fut augmenté de huit autres travées et accolé d'une seconde nef de structure identique. Exception faite de sa terminaison orientale à double chevet polygonal, le vaste espace très aéré qui en résulte nous aide à comprendre ce qu'étaient certaines salles princières d'apparat, telles qu'on en devine notamment sur la tapisserie de Bayeux. Les charpentes lambrissées, souvent attribuées à des constructeurs de navires, ne font sans doute elles-mêmes que reprendre une tradition plus ancienne, non spécifiquement religieuse. A une dizaine de mètres dans l'axe des travées nord de l'église, le clocher forme une construction autonome, suffisamment vaste pour abriter la maison du sonneur et un solide beffroi contenant six cloches.
ABBAYES ET PRIEURÉS
Si les altérations ou les destructions pures et simples n'ont pas épargné les édifices paroissiaux, celles-ci s'avèrent hélas bien plus funestes encore en ce qui concerne les abbayes. De même que l'abbaye des Bénédictins de Troarn, l'ancien monastère de Sainte-Barbe figure de fait parmi les grands inconnus de la région. De toutes les fondations recensées, seule l'abbatiale de Saint-Pierre-sur-Dives dresse encore une silhouette significative dans le paysage monumental augeron. Fruit de plusieurs campagnes de constructions échelonnées du XIe au XVIe siècle, celle-ci se présente aujourd'hui comme un édifice assez peu homogène. La façade elle-même, avec ses deux tours dissymétriques, l'une au nord du XIVe et l'autre du milieu du XIIe siècle, fait apparaître la difficulté que l'on semble avoir eu à en achever la reconstruction, entreprise déjà en 1108. Le désaxement très sensible des piles de la nef, plantées dans le derier quart du XIIe siècle, montre qu'il fallut tenir compte d'antécédents architecturaux difficilement assimilés. Le choeur à déambulatoire et chapelles rayonnantes conserve lui aussi, dans sa structure gothique, les traces d'un projet antérieur brutalement abandonné. L'extérieur toutefois compense cette impression d'hésitation par ses hautes surfaces de pierre brune ocrée et le bel étagement des toits du chevet. Outre des abbayes de diverses obédiences le pays d'Auge vit aussi s'implanter sur ses terres quelques importants établissements prioraux. Avant celui de Beaumont-en-Auge, le prieuré de Saint-Hymer comptait parmi les fondations les plus richement posséssionnées de la région. Son large choeur de deux travées à abside polygonale constitue un bel exemple de l'architecture du XIVe siècle en Normandie. Sur le transept sud, une chapelle de la fin de l'époque romane possède des chapiteaux finement sculptés, très comparables à ceux de Saint-Thomas de Touques.
LA CATHÉDRALE SAINT-PIERRE DE LISIEUX
La cathédrale Saint-Pierre de Lisieux, église mère du principal diocèse augeron, se devait d'apporter une contribution majeure à l'architecture du duché. Suite à la destruction à peu près totale de la grande église édifiée au XIe siècle, c'est à l'évêque Arnoul (1141-1181) qu'il revint d'entreprendre la construction de l'édifice actuel. S'inspirant des modèles issus du domaine capétien, l'architecture adopta un parti de nef à larges supports cylindriques et introduisit l'utilisation systématique des arcs-boutants comme principe d'épaulement des poussées latérales. En revanche, l'élévation à trois niveaux reste tributaire de la tradition normande. Le plan lui-même respecte les conditions générales de l'édifice antérieur et en conserve certaines spécificités remarquables. Il en va ainsi notamment pour le transept à bas-côtés orientaux, dont l'idée pourrait avoir été ramenée de Saint-Rémi de Reims par l'évêque Herbert (1022-1049).
La sculpture des chapiteaux de la nef et du transept, presque exclusivement végétale, montre pour sa part un désir évident de sobriété et d'élégance, propre à la seconde moitié du XIIe siècle. Tandis que la construction du chevet, laissé inachevé par Arnoul, ne sera terminée que sous l'épiscopat de Jourdain du Hommet (1202-1218). La dernière grande contribution à l'architecture de la cathédrale viendra enfin de l'évêque Pierre Cauchon, auquel nous devons la très belle chapelle d'axe du déambulatoire.
Fruit des efforts conjugués de nombreuses générations, le patrimoine religieux du pays d'Auge se prête à une lecture patiente et minutieuse, réservant à chacun d'heureuses découvertes.
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